Origine et redistribution spatio-temporelle des matières en suspension dans les bassins versants

Approche combinant observations des flux, traçage et modélisation distribuée

Travaux de thèse de Magdalena Uber

Résumé
L’étude de l’érosion des sols et du transfert des particules minérales et organiques vers les rivières revêt des enjeux environnementaux et socio-économiques cruciaux. D’une part, la perte de sols fertiles réduit la productivité agricole et pose donc des problèmes de sécurité alimentaire. D’autre part, le transfert des sédiments génère une dégradation de la qualité des eaux et des milieux aquatiques comme les lacs et les rivières ainsi que l’envasement des réservoirs. Les régions méditerranéennes et montagneuses sont particulièrement exposées aux phénomènes d’érosion et de transport solide du fait principalement d’épisodes de pluies qui peuvent être très intenses à l’image de ceux survenus début octobre 2020 dans les vallées de la Vésubie, de la Tinée et de la Roya. Ces aléas vont s’exacerber à l’avenir, du fait de l’occurrence plus importante des évènements pluvieux extrêmes sous l’effet du changement climatique et de l’augmentation de la population mondiale accroissant la pression sur les ressources en sol et en eau.
L’objectif de la thèse était de mieux comprendre les processus d’érosion et de transfert des sédiments fins dans les bassins versants de taille moyenne (10-100 km²) qui correspondent aux échelles d’intérêt pour proposer des stratégies d’aménagement et de mitigation des effets liés à l’érosion des sols. Le travail de thèse s’est focalisé en particulier sur la localisation des zones actives en érosion, le cheminement de l’eau et des particules érodées des versants vers les cours d’eau et leur dynamique de transfert dans les rivières. Les deux rivières étudiées sont situées dans le sud-est de la France, en Ardèche (la Claduègne) et dans les Alpes de Haute Provence (le Galabre).

Schéma de principe de l’approche adoptée pour le traçage des sédiments

Dans la première partie de la thèse, les contributions de différentes zones d’érosion sur les versants aux flux de particules fines mesurés dans les rivières au cours des épisodes de crue ont été évaluées grâce à des mesures physico-chimiques réalisées à la fois sur les sols et les particules fines transportées en rivières. Cette approche de traçage des particules fines proposée a permis d’identifier la principale source de sédiments fins : les zones dites de « badlands », correspondant à des surfaces ravinées, très pentues et sans végétation. Même si les zones agricoles contribuent moins aux flux de sédiments dans les rivières, celles présentant des sols nus (champs cultivés avant le développement de la végétation et vignobles) restent néanmoins des sources importantes de sédiments fins. Ces premiers résultats sur l’identification des principales sources d’érosion sont des éléments importants d’aide à la protection des ressources en sol et en eau. L’autre résultat majeur de cette première partie de la thèse a été la mise en évidence d’une forte variabilité temporelle de l’origine spatiale des particules fines transportées dans les rivières, que ce soit au cours d’un même épisode de crue ou d’épisodes différents. Cela permet d’adapter les stratégies de mesure et d’observation pour mieux comprendre les processus qui génèrent de l’érosion sur ces zones et le transfert des particules vers l’aval.
La deuxième partie de la thèse a donc visé à mieux comprendre les causes de cette variabilité observée selon une approche de modélisation numérique. Parce que les modèles numériques ne peuvent représenter toute la complexité des processus hydrologiques et sédimentaires, nous avons accordé une attention particulière à la manière dont les choix simplificateurs (de processus et de représentations spatiales des rivières et des versants) faits pendant les phases de construction du modèle numérique impactent les résultats. Ce travail de modélisation a montré que les facteurs les plus importants causant la variabilité temporelle des contributions des différents zones d’érosion dans les flux de sédiments fins sont i) la localisation des zones d’érosion notamment leur distance à la rivière, ii) la dynamique temporelle de la pluie et iii) la distribution spatiale de la pluie. Du point de vue opérationnel, ces résultats impliquent que, si les zones actives en érosion peuvent être cartographiées de façon relativement aisée grâce aux images aériennes, il persiste des enjeux forts à disposer de caractéristiques de la pluie à haute résolution spatiale et temporelle en zones hydrométéorologiques complexes comme les régions méditerranéennes et montagneuses pour comprendre et prédire les aléas associés à l’érosion des sols.
Les deux approches développées dans cette thèse (i.e. de traçage de sédiments par mesures physico-chimique et de modélisation numérique) se sont avérées très complémentaires. Jusqu’alors peu utilisées simultanément par la communauté travaillant sur l’érosion des sols et le transfert de sédiments fins, ces deux approches combinées ouvrent des perspectives très prometteuses pour répondre aux questions qui peuvent paraitre simples aux yeux de la société mais qui s’avèrent extrêmement complexes : Les sols sont-ils amenés à disparaître ? D’où viennent les sédiments que l’on trouve dans les rivières ? Comment sont-ils arrivés là et quel est leur devenir ?
Deux articles sur les processus hydrologiques et le traçage des sédiments dans le bassin versant de la Claduègne (Uber et al., 2018, 2019) ont étés publiés au cours de cette thèse. Un troisième article (Uber et al., 2021) a également publié et a stimulé une discussion scientifique sur les perspectives de travail bien au-delà du cadre strict de l’article (Molnar, 2020). Enfin, M. Uber a reçu le prix de thèse 2021 de l’UGA :

Références :
Molnar, P. 2020. Interactive comment on “How do modeling choices impact the representation of structural connectivity and the dynamics of suspended sediment fluxes in distributed soil erosion models ?” by Magdalena Uber et al. Earth Surface Dynamics Discussions. https://doi.org/10.5194/esurf-2020-64-SC1.
Uber, M., Vandervaere, J.-P., Zin, I., Braud, I., Heistermann, M., Legout, C., Molinié, G., et Nord, G. 2018. How does initial soil moisture influence the hydrological response ? A case study from southern France. Hydrology and Earth System Science 22, 6127–6146. https://doi.org/10.5194/hess-22-6127-2018.
Uber, M., Legout, C., Nord, G., Crouzet, Ch., Demory, F. et Poulenard, J. 2019. Comparing alternative tracing measurements and mixing models to fingerprint suspended sediment sources in a meso-scale Mediterranean catchment. Journal of Soils and Sediments 19, 3255–3273. https://doi.org/10.1007/s11368-019-02270-1.
Uber, M., Nord, G., Legout, C. and Cea, L. 2021. How do modeling choices and erosion zone locations impact the representation of connectivity and the dynamics of suspended sediments in a multi-source soil erosion model ? Earth Surface Dynamics 9, 123–144. https://doi.org/10.5194/esurf-9-123-2021.