Détection et suivi des évènements potentiellement à fort impact au Sénégal par une analyse des périodes sèches et humides (« dry » et « wet spells ») et leur influence sur les rendements agricoles

Thèse en cours (2016-2020) de Cheikh Modou Noreyni FALL sous la direction de Christophe LAVAYSSE (IGE/IRD, Grenoble) et Amadou Thierno GAYE (Laboratoire de Physiques de l’Atmosphère et de l’Océan, UCAD,Dakar)

L’intensification des événements extrêmes est l’un des principaux phénomènes accompagnant le retour de la pluie au Sahel. Depuis la fin de la grande sécheresse des années 80 qui a sévit dans toute l’Afrique de l’Ouest, une forte variabilité multi-échelles de la pluviométrie est observée dans cette partie du globe. A l’instar des pays sahéliens, le Sénégal enregistre de plus en plus de saisons hybrides, marquées par une alternance de fortes pluies, causant des inondations, et de poches de sécheresse.

Ces événements potentiellement à fort impact, n’ont pas épargné le Sénégal. En 2012, le pays a subit un événement extrême avec 161 mm en moins en d’une heure causant 26 morts dans la ville de Dakar et des régions voisines. A l’inverse, les saisons 2014 et 2015 ont été dévastatrices pour les cultures sénégalaises, surtout le mil et le sorgho, avec des pauses pluviométriques en mi- saison. Ces évènements ont poussé l’African Risk Capacity (ARC) à verser au Sénégal une aide de près de 16.5 millions de dollars. Dans son « brief country » de Janvier 2018, le « World Food Program » (WFP) a déclaré que le Sénégal faisait partie des sept pays sahéliens où le nombre de personnes touchées par l’insécurité alimentaire était en nette augmentation, passant de 314 000 à 548 000 en 2018.

Cette thèse a d’abord permis de définir les évènements pluviométriques potentiellement à fort impact socio-économique et humain au Sénégal. Cela a été fait en vue de caractériser leurs variabilités spatio-temporels. Un algorithme de détection des périodes sèches et humides a été ainsi développé. Cette détection distingue les évènements suivant leurs durées et intensités. Les résultats ont montré une forte occurrence des périodes sèches de longues durées en début et fin de saison. Les périodes sèches de courtes durées montrent une variabilité dans les phases d’intensification de la Mousson Ouest-Africaine, donc plutôt au cœur de la saison. Ces périodes sèches sont très liées au gradient Sud-Nord du cumul saisonnier. Les périodes humides sont rares et ne se produisent qu’en Août et Septembre. Nous avons aussi la confirmation que ces événements sont de plus en plus fréquents depuis le début des années 2000. Une inter-comparaison de 4 produits satellitaires (TRMM, TAMSAT, CMORPH, CHIRPS) de 2 réanalyses (ERA5, NCEP), du Climate Prediction Centre et des données d’observation In situ de la météo nationale sénégalais krigées sur leur capacité à détecter ces évènements a été réalisée (figure) en vue d’une extrapolation sur l’Afrique de l’Ouest de cette étude d’impact. Malgré un accord sur les périodes sèches, des divergences significatives se sont révélées sur l’intensité des différentes périodes humides. TRMM s’est révélé le plus proche des observations pour les périodes humides alors que TAMSAT et CHIRPS le sont pour les périodes sèches. Cette proximité entre TRMM et les observations in situ sur l’intensité des périodes humides semble être expliquée par le radar embarqué sur TRMM qui permet d’obtenir la structure des précipitations dans les nuages, le type, l’étendue verticale de ces précipitations et la hauteur du point de condensation en déterminant le niveau de la bande de brillance.

Dans un second temps, une étude a été menée sur les impacts de ces événements sur les rendements agricoles. Pour ce faire, Le modèle agricole CST développé au JRC (Joint Research Center) a été utilisé pour quantifier l’impact de ces EPFI sur les rendements agricoles fournis par la DAPSA (Direction de l’Analyse, de la Prévision et des Statistiques Agricoles). Il a ainsi été montré une forte probabilité des périodes sèches extrêmes à causer des pertes de semis surtout quand elles se produisent en début de saison, causant des ‘faux départs’ de la saison des pluies.

Figure : a) Deux années avec des cumuls saisonniers très proches à Thiès (556.7 mm en 2009 et 552.8 mm en 2010) sont montrées. Cependant, la distribution des EPFI est très différente entre ces deux années. b) Les rendements fournis par la DAPSA sont spatialisés, la zone cruciale du bassin arachidier (zone de forte production) se distingue. c) Les différentes combinaisons du modèle de rendement de mil pour chaque décade sont illustrées, la meilleure performance est en noir avec les meilleurs indicateurs pour chaque décade

Ensuite, les indicateurs ASAP (Anomaly hot Spots of Agricultural Production) couramment utilisés tels que le rayonnement global, le NDVI, le SPI3 et le bilan hydrique WSI sont utilisés pour estimer leurs capacités prédictives. L’efficacité de ces indicateurs pour exprimer le caractère déficitaire ou excédentaire d’une saison a été montré. Par la suite, nous avons montré la performance du modèle dans le bassin arachidier (zone de forte production avec plus de 70% de la production nationale voir la figure c) où les indicateurs de périodes sèches et humides combinés aux indicateurs ASAP peuvent expliquer jusqu’à 80% de la variabilité des rendements en mil. A travers la combinaison des périodes sèches / humides et les indicateurs ASAP, nous avons montré que l’influence des périodes sèches est plus néfaste en période de faible occurrence des MCSs (Mesoscale Convective Systems) illustré par des fortes valeurs de rayonnement global. L’originalité de cette étude d’impact est l’apport de ces séquences sèches et humides dans le modèle statistique de rendement, qui, couplé aux données de NDVI, permet d’expliquer près de 90% de la variation interannuelle des rendements de mil à une échéance de plusieurs semaines.