Vers une disparition complète des dernières plateformes flottantes du Groenland ?

Au nord du Groenland, les glaciers renferment suffisamment de glace pour élever le niveau marin de plus de 2 mètres. Dans cette région, les glaciers s’écoulent naturellement depuis l’intérieur de la calotte polaire vers l’océan où ils se mettent à flotter et forment des plateformes de glace de plusieurs dizaines, voire centaines de kilomètres de long. Ces plates-formes jouent un rôle essentiel en tant que "barrages" qui régulent la quantité d’icebergs déversée dans l’océan par les glaciers. Lorsque ces plates-formes de glace s’amincissent et se fracturent, le barrage s’affaiblit, ce qui a inévitablement des répercussions sur la contribution des calottes glaciaires au niveau marin.

Le glacier Zachariæ Isstrøm en 2016 déchargent des icebergs de plusieurs kilomètres de long dans l’océan. © Romain Millan et Abbas Khan

Au Groenland, la plupart des glaciers ont commencé à perdre de la masse dès le début des années 1980 et 1990, et plus spécifiquement au Nord-ouest et au Sud-est de la calotte. Les glaciers situés dans le Nord sont les derniers glaciers du Groenland possédant de grandes extensions flottantes. Contrairement à leurs voisins, ces glaciers étaient restés très stables jusqu’à présent.

Des chercheurs du CNRS (IGE, Grenoble), en collaboration avec l’Université de Copenhague, le Service géologique national du Danemark et du Groenland (Copenhague, Danemark) ainsi que le Moss Land Marine Laboratories (San Jose, USA) ont publié une étude dans Nature Communications montrant les premiers signes d’affaiblissement de ces glaciers. En utilisant une large collection d’images satellites, les scientifiques ont calculé que ces dernières plateformes avaient perdu plus du tiers de leur volume.

En combinant les données faites depuis les satellites, avec des avions, mais aussi des modèles numériques, les chercheurs ont réussi à remonter jusqu’à la fonte se produisant sous les plateformes de glace flottantes. Ils ont ainsi observé pour la première fois que cette fonte avait drastiquement augmenté depuis les années 2000. « Quand nous avons eu les premières cartes, nous avons vu que les taux de fonte sous-marine étaient incroyablement élevés, et pouvaient atteindre plus d’une centaine de mètres de fonte par an ! » explique Romain Millan, leader de l’étude. En collectant des mesures de températures d’océan depuis les 40 dernières années et en les comparant avec des réanalyses physiques, les chercheurs ont pu déterminer que cette augmentation de la fonte était en grande partie due à un réchauffement important des eaux océaniques dans toute la région.

Le problème est que cette fonte des plateformes se fait ressentir sur les glaciers qui se situent en amont. « Sur toute la période d’observation, nous avons pu voir un recul marqué des points d’ancrage des glaciers sur le sol, allant jusqu’à 9 km pour les plus forts », explique Romain Millan. Le point d’ancrage des glaciers marque la limite où la glace devient flottante. Le recul de cette frontière naturelle est un indicateur sensible de la réaction du glacier au réchauffement climatique et un marqueur de d’instabilité.

En mesurant l’écoulement et l’épaisseur des glaciers, les chercheurs ont aussi pu calculer la quantité de glace déversée dans l’océan. « Sur certains glaciers, la décharge a augmenté de plus de 25 % en réponse aux changements qui affectent les plateformes » s’inquiète Eliot Jager, co-auteur de l’étude et doctorant à l’Institut des Géosciences de l’Environnement. En d’autres termes, il y a de plus en plus d’icebergs qui sont déversés dans la mer, ce qui impacte directement la montée du niveau marin.

Les chercheurs Romain Millan (gauche) et Anders Bjørk (droite), instrumentent le glacier Zachariæ Isttrøm au Nord de la calotte Groenlandaise. © Anders Bjørk

« Sous les conditions climatiques actuelles, les régions polaires vont inéluctablement continuer à se réchauffer à des vitesses beaucoup trop élevées », commente Dr. Millan. Une augmentation continue des températures de l’air et de l’océan pourrait ainsi menacer durablement les dernières plateformes du Nord du Groenland. « Si ces dernières plateformes s’effondrent, comme cela a été le cas pour des glaciers voisins, il y a un risque réel que cette région devienne le plus gros contributeur au niveau des mers de toute la calotte Groenlandaise » conclut Anders Bjørk de l’Université de Copenhague.

En Antarctique, la majorité de la calotte se déverse dans l’océan vient de grandes plateformes flottantes. Les changements très rapides observé au Groenland pourraient ainsi être considéré comme une annonce des processus pouvant affecter l’Antarctique dans un future proche.

Référence :
Rapid disintegration and weakening of ice shelves in North Greenland. R. Millan, and al. Nature Communications, 7 novembre 2023.
https://www.nature.com/articles/s41467-023-42198-2

Contact :
Romain Millan, CNRS | T + 33 6 16 42 16 14 | romain.millan univ-grenoble-alpes.fr