Publication - L’expansion arbustive dans l’arctique pourrait accélérer le dégel du pergélisol encore plus que prévu

Un saule de Richardson, espèce arbustive arctique de 40 cm de haut, sur l’Île Bylot.

 

Le pergélisol (permafrost en anglais) contient 2 fois plus de carbone que l’atmosphère, sous forme de débris végétaux gelés. Le dégel du pergélisol permet aux bactéries de métaboliser ces débris, qui sont transformés en CO2 et CH4, les principaux gaz à effet de serre. La vitesse de dégel du pergélisol et sa contribution au réchauffement climatique sont mal connus, à cause de nombreuses rétroactions mal quantifiées ou qui restent à découvrir. Une rétroaction positive connue est dûe à l’expansion des arbustes sur la toundra arctique. Ces arbustes piègent la neige soufflée par le vent. Il en résulte un manteau neigeux plus épais et plus isolant qui limite le refroidissement hivernal du pergélisol, et cela augmente son dégel estival. Un travail conjoint entre l’Université Laval et L’Université de Grenoble a mis en évidence un nouveau processus complexe qui pourrait encore amplifier le dégel du pergélisol dû à l’expansion arbustive.

La neige qui s’accumule dans les arbustes de l’arctique est un isolant thermique aussi efficace que la laine de verre ou le polystyrène expansé. Les mesures effectuées sur l’Île Bylot dans le haut Arctique canadien ont révélé des températures hivernales du pergélisol plus froides que prévues sous des arbustes. Des simulations numériques ont démontré que ce refroidissement hivernal était dû à la conduction du froid à travers les branches des arbustes. En effet, ces branches, en gelant, deviennent un excellent conducteur thermique, 30 fois plus efficace que la neige, avec des propriétés comparables au béton. Les branches agissent donc comme un pont thermique, comme une dalle de béton qui se prolonge à travers le polystyrène par un balcon et contribue à refroidir tout l’appartement en hiver.

Jusqu’ici, bonne nouvelle : la conduction du froid à travers les branches gelées refroidit le pergélisol. Le problème survient au printemps. À la sortie de la nuit polaire, les rayons de soleil traversent la neige et réchauffent les branches enfouies, qui absorbent la quasi-totalité de la lumière qui les touche. Cette chaleur est transmise efficacement par les branches jusqu’au sol gelé, qui dégèle beaucoup plus rapidement. Globalement, quel est le bilan entre le refroidissement hivernal et le réchauffement printanier ? Très probablement un réchauffement dans la plupart des cas, sauf peut-être sur les pentes les plus exposées au Nord, ou l’impact du réchauffement solaire est plus faible.

Le changement climatique est un problème planétaire, et les mesures pour le limiter à +1.5°C se basent sur des modèles numériques. Ces modèles représentent la réalité de manière simplifiée, et en particulier ne tiennent pas compte de nombreuses rétroactions climatiques qui sont découvertes chaque année, et dont la plupart sont positives, comme celle décrite ici. Il est donc fort possible que les modèles actuels sous-estiment le réchauffement futur, ce qui augmente encore l’urgence du problème.

 

Conduction du froid et de la chaleur à travers les branches gelées enfouies sous la neige. Ces processus refroidissent le pergélisol en hiver mais le réchauffent au printemps.

 

Contacts :
Florent Dominé
Ghislain Picard

Référence :
Domine, F., Fourteau, K., Picard, G. et al. Permafrost cooled in winter by thermal bridging through snow-covered shrub branches. Nat. Geosci. (2022). https://doi.org/10.1038/s41561-022-00979-2