Les hautes altitudes et latitudes à l’honneur du One Planet-Polar Summit

Le premier "The One planet Summit for Glaciers and Pole" s’est tenu du 8 au 10 à Paris au muséum d’histoire naturelle, regroupant scientifiques, opérateurs polaires, financeurs, ONG, de plusieurs pays investis dans la recherche sur les régions polaires et de montagne.

Ce sommet, co-organisé dans sa partie scientifique par Jérome Chappellaz et Antje Boetius, réunissait également un parterre de politiques, ministres de différents États prêts à s’engager dans un accord multilatéral sur la préservation de ces régions.

Bien que, pour les collègues scientifiques de l’IGE et d’ailleurs, les observations, expérimentations, projections sont claires sur l’état de la cryopshère, il s’agissait de mettre en lumière et potentiellement en action les besoin nécessaires pour répondre aux enjeux colossaux des changements se déroulant dans ces régions mais aussi sur leurs déclinaisons sur le climat global et sur les sociétés les plus fragiles.

L’IGE était présent dans les salles et aussi à travers les présentations ou encore dans les travaux qui ont pu être présentés par d’autres. Suite à ce sommet, l’Appel de Paris pour les glaciers et pôles a été signé avec une déclinaison potentielle dans les moyens alloués pour ces recherches.

IRD Le Mag’ a fait le point sur l’état de ces zones en hautes altitudes et latitudes avec Fanny Brun et Patrick Wagnon, tous deux glaciologues IRD à l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE), un laboratoire membre de la fédération OSUG.

Fanny Brun et Patrick Wagnon, deux glaciologues IRD sur le terrain. Dans le contexte du réchauffement climatique, ils mesurent sur le long terme l’évolution du bilan de masse des glaciers de l’Everest. Ici, à 5050 mètres d’altitude, ils s’occupent de la station GEONOR, qui mesure les précipitations de pluie et de neige : après avoir téléchargé les données, ils la vidangent et versent de l’éthanol pour son effet antigel et de l’huile pour empêcher l’évaporation. Crédit : Vergoz

 

IRD le Mag’ : Pourquoi relier les pôles et les glaciers dans un seul sommet, alors qu’ils recouvrent des réalités géographiques et géomorphologiques très différentes ?

P. Wagnon : Tout d’abord parce que ce sont d’importants réservoirs d’eau douce englacée : la calotte de l’Antarctique représente à elle seule 70 % de la ressource en eau douce totale de la planète.

Les glaciers de montagnes, quant à eux, constituent une ressource en eau importante pour les populations qui vivent à proximité. De plus, les glaciers comme les pôles sont une illustration en temps réel du dérèglement climatique. Ces zones froides sont considérées comme sensibles car se réchauffant plus rapidement que la moyenne globale à cause du mécanisme de rétroaction glace-albédo. Concrètement, l‘augmentation des températures diminue les surfaces couvertes de neige et de glace aux propriétés réfléchissantes, qui absorbent alors de plus grandes quantités de rayonnement solaire, amplifiant le phénomène de réchauffement. Enfin, il est pertinent de relier ces différentes régions dans un seul sommet car la fonte des glaces dans son ensemble est responsable, pour moitié, de l’élévation globale du niveau marin – l’autre moitié étant due à la dilatation thermique.

IRD le Mag’ : Les glaciers qui fondent ont été qualifiés de « messagers du désastre » par le secrétaire général des Nations unies. Comment ces événements symboliques du dérèglement climatique se manifestent-ils ?

F. Brun : Les calottes polaires et les glaciers de montagne répondent tous au dérèglement climatique par une perte de masse mais à travers des mécanismes différents.

L’océan joue un rôle critique dans la fonte des glaces aux pôles, alors que celle des glaciers de montagne est plus directement liée à l’augmentation des températures. Elle a pour conséquence directe trois effets : une baisse des précipitations solides sur les glaciers, un allongement de la saison de dégel et une intensification de la fonte des glaces. En réponse à ces phénomènes, les glaciers ajustent leur géométrie pour aller vers des zones qui leur sont plus favorables. Mais force est de constater qu’ils « courent » beaucoup moins vite que le réchauffement climatique. Leur perte de masse témoigne de leur incapacité à se stabiliser dans un nouvel état d’équilibre, avec un climat qui leur correspondrait. On continue donc à prévoir d’importantes pertes de masses à un rythme accéléré, et ce jusqu’à la fin du siècle.

P. Wagnon : Grâce aux images satellites, nous avons une connaissance très précise de l’évolution de la masse de tous les glaciers du monde depuis l’an 2000, dont nous avons tiré deux enseignements.

Premièrement, nous avons constaté un retrait important et généralisé des glaciers entre 2000 et 2020, qui s’est accéléré au fil des ans. Il est cependant difficile de donner une moyenne car il existe de fortes variabilités d’une région à l’autre, et c’est là notre deuxième enseignement. Nous avons observé dans certaines zones un déclin glaciaire moins rapide entre 2015 et 2020 qu’entre 2000 et 2005, allant à l’encontre de la tendance générale. Nous avons également constaté que les glaciers fondent beaucoup plus rapidement dans certaines régions que d’autres. Ainsi, l’Alaska et les Alpes sont très touchées par le déclin glaciaire, alors que les glaciers de hautes montagnes d’Asie, surtout ceux au nord du Pakistan, sont encore relativement stables. Cependant, nous avons constaté qu’entre 2015 et 2020 même cette zone qui résistait mieux que la moyenne a perdu de la masse.

IRD le Mag’ : Face à cette accélération de la fonte des glaces, quel futur pour les pôles et les glaciers ?

F. Brun : Le futur des glaciers est intimement lié à l’augmentation des gaz à effet de serre anthropiques. Dans le scénario où l’Accord de Paris serait respecté, avec des hausses de températures ne dépassant pas les 1,5°C, on pourrait imaginer que les glaciers se stabilisent d’ici la fin du siècle.

Nous perdrions encore 25 % des surfaces englacées d’ici 2100, mais il existerait toujours de nombreux glaciers, plus petits et presque stables. En revanche, dans le cas où les hausses de températures globales dépasseraient les 2°C, les glaciers ne pourront pas s’équilibrer et continueront de rétrécir, les pertes de masse s’intensifiant au cours du siècle. Dans un scénario à +4°C par exemple, nous perdrions environ 45 % des surfaces englacées. Il ne resterait alors de la glace qu’autour des pôles et sur un quart des glaciers de l’Himalaya.

Cette fonte généralisée et accélérée des glaciers aura des conséquences à la fois locales et globales. Localement d’abord, les glaciers représentent une ressource hydrique fiable pour les écosystèmes et les cultures agricoles à proximité. La fonte totale de leur glace, et donc leur disparition, entraineraient d’importants changements sur les régimes hydriques, notamment lors des saisons arides estivales, contraignant les écosystèmes à s’adapter. Plus globalement, la fonte des glaces touchera tout le monde via la montée du niveau marin, avec pour conséquences le recul du trait de côte, ainsi que des tempêtes et des submersions beaucoup plus fréquentes, rendant les pourtours côtiers très difficiles à habiter.

Il est donc important que la communauté internationale se saisisse du sujet et que l’on en parle de plus en plus. Mais plus important encore : le respect de l’Accord de Paris, qui est décisif pour le futur de la planète, et en particulier pour le futur des glaces.


Références

Eau, glace, société et écosystèmes dans l’Hindu Kush Himalaya : une perspective
Philippus Wester, Sunita Chaudhary, Nakul Chettri, Miriam Jackson, Amina Maharjan, Santosh Nepal, & Jakob Friedrich Steiner, Water, ice, society, and ecosystems in the Hindu Kush Himalaya : an outlook, International Centre for Integrated Mountain Development (ICIMOD), 2023 ; https://doi.org/10.53055/ICIMOD.1028

Contact scientifique local

 Fanny Brun, chercheuse IRD à l’IGE (IRD/Université Grenoble Alpes/CNRS/Institut national polytechnique de Grenoble/Inrae)
 Patrick Wagnon, chercheur IRD à l’IGE (IRD/Université Grenoble Alpes/CNRS/Institut national polytechnique de Grenoble/Inrae)

Cet article, rédigé par Louise Hurel, DCPI - IRD, a initialement été publié par IRD le Mag’. Il est publié ici avec quelques modifications.