Les glaces du Groenland révèlent que les combustions de fuels fossiles dûes aux activités humaines ont été largement sous-estimées

Le méthane (CH4) est un puissant gaz à effet de serre qui contribue largement au réchauffement en cours de la planète : ses émissions vers l’atmosphère ont en effet augmenté d’environ 150% au cours des trois derniers siècles. Pourtant, l’origine de ces émissions, qui peuvent être naturelles ou liées aux activités humaines, reste mal connue. Une équipe internationale menée par B. Hmiel et V. Petrenko de l’Université de Rochester (Etats-Unis), et à laquelle a participé l’équipe Ice3 de l’IGE, a constaté à partir de mesures dans la glace du Groenland que la quantité de méthane émise vers l’atmosphère par les combustions de fuels fossiles dûes aux activités humaines a été jusqu’à maintenant largement sous-estimée.

Le méthane émis dans l’atmosphère peut être classé en deux catégories, en fonction de sa signature en carbone 14, un isotope radioactif rare. D’une part, le méthane fossile, qui a été séquestré pendant des millions d’années dans d’anciens dépôts d’hydrocarbures et qui ne contient plus de carbone 14 puisque l’isotope s’y est désintégré sur des temps longs ; d’autre part le méthane biologique, en contact avec les plantes et la faune à la surface de la planète et qui contient du carbone 14. Le méthane biologique peut être libéré naturellement à partir de sources telles que les zones humides ou par des sources anthropiques comme les décharges, les rizières et le bétail. Le méthane fossile, étudié dans le cadre de cette étude, peut être émis par des sources géologiques naturelles ou par l’extraction et l’utilisation de combustibles fossiles comme le pétrole, le gaz et le charbon.

Forage d’une carotte de glace au Groenland. Les bulles d’air piégées dans ces carottes permettent de reconstruire la composition passée de l’atmosphère. Crédit photo : X. Fain

On sait aujourd’hui quantifier avec précision la quantité totale de méthane émise dans l’atmosphère, mais il est difficile de décomposer ce total entre ses différentes composantes. Quelles sont les fractions qui proviennent de sources fossiles et celles de sources biologiques ? Quelle quantité de méthane est libérée naturellement et quelle quantité est libérée par les activités humaines ? Les échantillons de glace contiennent des bulles d’air qui emprisonnent de petites quantités d’air ancien, que les scientifiques sont venus extraire et analyser pour répondre à ces questions.
La mesure de la quantité de carbone 14 sur le méthane atmosphérique piégé dans la glace du Groenland depuis le début du 18e siècle, c’est à dire avant le début de la révolution industrielle a montré que la quasi-totalité du méthane émis dans l’atmosphère était de nature biologique jusqu’en 1870 environ. C’est alors que la composante fossile a commencé à augmenter rapidement. Cette période coïncide avec une forte augmentation de l’utilisation des combustibles fossiles par les activités humaines.

La quantité de carbone 14 du méthane est très faible. Une mesure demande de collecter le gaz piégé dans une tonne de glace. Cette extraction se fait directement sur le terrain à partir de carottes de large diamètre. Crédit photo : X. Fain

Se placer avant la révolution industrielle a permis d’évaluer, grâce au carbone 14, les sources fossiles de méthane naturelles. Elles sont faibles, et environ dix fois inférieures aux estimations précédentes. Sachant par ailleurs que les sources fossiles naturelles de méthane n’ont pas pu évoluer fortement au cours des derniers 200 ans, ce résultat permet de quantifier les émissions fossiles anthropiques de méthane actuelles. Celles-ci ont été sous-estimées, et sont 25% à 40% plus élevées que ce que pensait la communauté scientifique jusqu’à aujourd’hui.

Le méthane est, après le dioxyde de carbone, le deuxième plus grand contributeur au réchauffement de la planète, en cours et causé par les activités humaines. Cette étude montre que l’impact des activités humaines sur le climat, par ses émissions de méthane vers l’atmosphère, est plus important que ce que nous pensions. Mais elle suggère aussi que notre capacité à agir pour freiner le réchauffement en cours est renforcée, si nous parvenons à réduire efficacement nos émissions anthropiques de méthane. En effet, le méthane a une durée de vie dans l’atmosphère d’environ neuf ans seulement. Une réduction des émissions humaines de méthane pourrait donc avoir un impact rapide sur les concentrations atmosphériques de ce puissant gaz à effet de serre.

Référence :
Hmiel, B., Petrenko, V. V., Dyonisius, M., Buizert, C., Smith, A. M., Place, P. ., Harth, C., Beaudette, R., Hua, Q., Yang, B., Vimont, I., Michel, S. E., Severinghaus, J. P., Etheridge, D. M., Bromley, T., Schmitt, J., Faïn, X., Weiss, R. F. and Dlugokencky, E. J. : Preindustrial 14CH4 indicates greater anthropogenic fossil CH4 emissions, Nature, 2020.

Contact : Xavier Faïn