Les activités humaines sont à l’origine de l’intensification en cours du régime pluviométrique au Sahel, et on comprend mieux pourquoi !

Inondations à Niamey au cours de la saison des pluies 2020, d’une intensité exceptionnelle et portant potentiellement la marque des activités humaines. Crédits : Oumou Kaltoum Hama Garba

Les activités humaines influencent le climat de différentes façons : les émissions de gaz à effet de serre (GES), liées notamment à la combustion d’énergies fossiles, le réchauffent, tandis que les aérosols sulfatés (fines particules en suspension) émis par l’industrie le refroidissent. Les effets directs et indirects de ces facteurs externes de forçage du climat interagissent avec sa variabilité interne (activités humaines ou non, il ne fait jamais la même température en moyenne d’une année sur l’autre, il ne pleut jamais la même quantité, etc.).

Comprendre les effets des activités humaines sur le climat, et en particulier sur les précipitations aux échelles régionales (par ex : le pourtour méditerranéen, le Sahel) est un défi scientifique autant qu’un enjeu de société. Le premier parce qu’à l’échelle d’une région, les signaux de précipitations sont très largement influencés par la variabilité interne du climat, et parce que les modèles de climat ont des difficultés à les représenter. Le deuxième parce qu’une bonne compréhension de ces effets sur la période passée est essentielle pour anticiper les évolutions à venir (en ayant à l’esprit que les émissions de GES devraient, selon toute vraisemblance, se poursuivre). Il est également nécessaire de s’intéresser à des indicateurs climatiques particuliers afin de fournir des informations utiles à la prise de décision, et ainsi favoriser la mise en place de stratégies d’adaptation au changement climatique. Par exemple, un gestionnaire du risque d’inondation dans une ville ou sur un petit bassin versant aura besoin d’indicateurs relatifs aux extrêmes de pluies pour des pas de temps allant, typiquement, de l’heure à la journée.

Dans cet article on analyse de façon originale des simulations climatiques idéalisées, permettant de séparer les effets des différents forçages externes du climat et de tenir compte de sa variabilité interne. On s’intéresse à un large spectre d’échelles spatiales et temporelles des précipitations, sur une région hautement vulnérable au plan hydrologique, le Sahel. Cela a conduit à mieux comprendre les évolutions du régime pluviométrique de ces 70 dernières années, marquée par une alternance de périodes humides (50s-60s), sèches (70s-80s) et d’intensification des pluies (depuis 1990) ; cette dernière se caractérise par :

  • une légère reprise des cumuls annuels par rapport à la période de sécheresse
  • une plus forte variabilité inter-annuelle (année humide suivie d’année sèche) et intra-saisonnière (séquence sèche suivie d’un fort épisode de pluie) que par le passé
  • une intensification des pluies extrêmes.

Tandis que l’oscillation entre décennies humides et décennies sèches résulte en grande partie d’un mode de variabilité interne de l’océan (Atlantique notamment), qui a engendré une forte réduction du nombre moyen d’événements de pluie par an, la période récente semble quant à elle fortement influencée par les activités humaines, à différents niveaux : la baisse des émissions d’aérosols (ou de leurs précurseurs) qui fait suite à l’entrée en vigueur de régulations depuis la fin des années 70 (notamment aux USA et en Europe de l’Ouest) entraine une augmentation de l’intensité des jours pluvieux et de leur nombre moyen par an relativement homogène sur l’ensemble du Sahel (cf Figures a & b). En revanche, les GES sont à l’origine d’un dipôle très marqué entre Sahel Ouest (Sénégal, Mauritanie) et Sahel Est (Burkina Faso, Niger, Nord du Nigéria). Plus précisément, l’augmentation de la concentration en GES entraine une réduction drastique de l’occurrence des jours de pluie sur le Sahel Ouest et une augmentation de leur intensité sur le Sahel Est (cf Figures c & d).

Différences relative (en %), entre 1950-1979 et 1985-2014, de l’intensité moyenne (a, c) et de l’occurrence moyenne (b, d) des jours de pluie, dans les simulations CMIP6 incluant les aérosols anthropiques seulement (AER ; a, b) et les GES seulement (GHG ; c, d). Moyenne parmi 8 modèles, un accord sur le signe de la différence parmi 6 des 8 modèles est indiqué par les pointillés.

En plus d’apporter une compréhension approfondie du « dipôle sahélien », présent dans les projections futures fournies par les générations successives de modèles de climat, ces résultats ont des implications très concrètes pour une grande diversité d’acteurs et d’actrices : producteurs et productrices agricoles, gestionnaires de la ressource en eau, concepteurs et conceptrices d’ouvrages hydrauliques, etc. Sans oublier les efforts d’atténuation, car dans une région où l’eau est une ressource naturellement aléatoire, de sérieuses ruptures (sociales, économiques, politiques) sont à redouter si la future donne hydro-climatique devient trop sévère par rapport à ce qu’elle est aujourd’hui.

Référence : G. Chagnaud, G. Panthou, T. Vischel, and T. Lebel. Capturing and Attributing the Rainfall Regime Intensification in the West African Sahel with CMIP6 Models. Journal of Climate (2023).
https://doi.org/10.1175/JCLI-D-22-0412.1

Contact scientifique : Guillaume Chagnaud, IGE


Auteurs : G. Chagnaud - 08/03/2023