Disparition de François Gillet

Nous avons appris le décès en fin de semaine de François Gillet, ancien ingénieur de recherche du Laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l’Environnement à Grenoble (LGGE, devenu IGE en 2017).

Pour celles et ceux qui l’on connu, François Gillet, ingénieur centralien mais aussi guide de haute montagne recruté au CNRS en 1965 par le Pr. Louis Lliboutry, directeur de l’unité s’appelant alors laboratoire de glaciologie alpine à Grenoble, fut chargé de développer plusieurs types d’instruments permettant d’étudier les glaciers alpins comme polaires. On lui doit en particulier la conception avec Daniel Donnou, du carottier thermique que l’équipe de Claude Lorius déploiera sur le site du Dôme C en Antarctique, à l’occasion du tout premier carottage glaciaire profond piloté par la France. Ayant atteint 905 mètres de profondeur en une seule campagne de terrain 1977/1978, ce carottier fournit la précieuse matière première qui servira à la première démonstration que la quantité de gaz carbonique présente dans l’atmosphère en période glaciaire était inférieure de 50% aux quantités prévalant en période chaude (https://lejournal.cnrs.fr/articles/comment-la-carotte-a-revolutionne-la-climatologie).

On doit également à François Gillet l’invention de la sonde à vapeur, désormais couramment utilisée sur les glaciers de montagne pour implanter des balises mesurant le bilan de masse ou bien pour installer des capteurs en profondeur au sein même du glacier.

De 1965 à 1983, François Gillet fut un contributeur majeur au succès de la glaciologie française, grâce à son ingéniosité doublée d’un investissement très conséquent sur le terrain alpin comme polaire ou subantarctique.

Talentueux, charismatique, humble, toujours souriant, François Gillet avait une personnalité particulièrement attachante. Outre son investissement professionnel remarquable au sein du CNRS, il fut également maire de la commune de Meylan de 1971 à 1984, période durant laquelle il marqua durablement cette ville par son approche très innovante en matière de plan directeur comme de gestion sociale. Un hommage lui est rendu à la mairie, et les drapeaux sont en berne.

L’IGE présente ses plus sincères condoléances à sa famille et à ses proches.

 

 

Quelques extraits des mémoires de Louis Lliboutry à son propos :

Puis, en 1965 , je pus recruter pour le CNRS l’oiseau rare : un jeune ingénieur de Centrale, ayant aussi suivi les cours de Sciences Po, et qui était en même temps guide de haute montagne. Blond, toujours souriant, restant optimiste au milieu des difficultés, François Gillet réussissait tout ce qu’il entreprenait sans donner l’impression de forcer son talent. Plus tard il devint maire de Meylan et fut à l’origine du prodigieux développement de cette commune de la banlieue de Grenoble. Mais , très bien organisé, il mena de front ses activités de maire et d’ingénieur CNRS sans la moindre interférence.

Sa mission au laboratoire fut de faire fabriquer et mettre au point des appareils de forage et de carottage pour les glaciers. En 1963 on avait chargé la plus importante entreprise de forages en France d’effectuer un carottage profond sur le plateau de la Vallée Blanche et elle avait lamentablement échoué.

(...)

Gillet commença par adapter la tarière carotteuse du SIPRE que nous avaient cédé les EPF au Minuteman de Crelius, un appareil léger utilisé en génie civil pour les forages peu profonds. La tarière carotteuse du SIPRE est un tube d’acier inoxydable de 1,5 m de long, avec à la base deux outils de coupe diamétralement opposés, larges de 2 cm. En haut, une tête et un train de tiges (aussi en inox, mais qu’on remplaça par des tiges en duralumin, bien plus légères) permet de faire tourner la tarière autour de son axe. Les copeaux sont entraînés vers le haut par une rampe hélicoïdale à la périphérie du tube carottier, pénètrent dans le tube par des trous et tombent sur le dessus de la carotte. On retire des carottes de névé ou de glace de 1 m, surmontées des copeaux.
Ensuite, après avoir réalisé des sondeuses dont je parlerai plus tard, Gillet s’attaqua aux carottiers électriques, ceux où la carotte est façonnée non pas mécaniquement, avec des outils, mais par fonte, grâce à une résistance annulaire. Cette résistance étant alimentée en basse tension, elle peut être nue, car l’eau de fonte de la glace de glacier ne laisse pratiquement pas passer le courant. Après un essai jusqu’à 34 m en 1970, le fond rocheux fut atteint à 187 m en 197 1 , avec un carottier devant partir pour l’Antarctique. Les résultats obtenus en carottant la Vallée Blanche à 3550 m sont exposés dans la thèse de 3e cycle de Jean-Robert Petit.

(...)

En 1967 Jeanne Caron, devenue Mme. Bénet, nous quitta et fut remplacée par une autre excellente secrétaire, Jocelyne Roquemora, qui sut rapidement assimiler toutes les règles administratives du CNRS et de l’Université, chaque année plus nombreuses. Sur un poste
nouveau de mécanicien ajusteur, après deux démissions successives, fut embauché Daniel Donnou, qui se montra d’une qualification supérieure à son poste. Il imagina de nombreuses solutions techniques et s’avéra un chef de l’équipe de forage particulièrement efficace. C’est au tandem Gillet-Donnou que le laboratoire dut, dans les années à venir, la réussite de forages et carottages de plus en plus profonds, aussi bien sur les glaciers des Alpes que dans l’Antarctique.

(...)

C’est sur le glacier de Saint-Sorlin que François Gillet mit au point les diverses techniques de forage et carottage indispensables pour l’étude des glaciers. D’abord, en 1966, la sondeuse légère à jet de vapeur, qui sert à implanter des balises. L’eau est évaporée dans
une chaudière chauffée au propane, puis surchauffée et amenée par un tuyau épais de caoutchouc synthétique ( qui doit résister à la pression même à haute température) à une buse, un simple tuyau métallique. Alors qu’un gramme d’eau bouillante à 92 °C ( elle bout
à moins de 100° en altitude) peut fondre 1,15 g de glace, un gramme de vapeur à 92° peut en fondre 8 g. Aussi la sondeuse à jet de vapeur permet de forer 10 m en une demi-heure seulement. Sur la chaudière on dispose une casserole qui récupère les calories perdues, pour fondre de la glace (il faut périodiquement injecter de l’eau dans la chaudière avec une pompe à main) , et aussi de temps à autre, avouons-le, pour se préparer une boisson chaude.

]’avais poussé Gillet à breveter son procédé , ce qu’apprécie beaucoup le CNRS, mais le marché est bien trop petit pour intéresser un fabriquant. La sondeuse à jet de vapeur de Gillet a donc été copiée par des glaciologues étrangers, russes en premier, sans que
Gillet touche la moindre redevance ( ce qui serait contraire à l’esprit de la recherche fondamentale) , ni même que son nom soit cité ( ce qui par contre est incorrect) . Mais il y a encore des glaciologues qui s’obstinent à utiliser la vieille sonde Kasser, ou une simple tarière à
main.

(...)

Gillet installa au fond un piézomètre et un appareil mesurant le déplacement du bas du trou par rapport au lit (c ’est-à-dire le glissement à une échelle fine) . Ce dernier est un fil qui se déroule, ancré à son extrêmité dans le lit rocheux. Ces deux appareils étaient reliés par un câble électrique de plusieurs brins à des appareils enregistreurs et à une batterie, placés dans une grande caisse en bois sur le glacier. Le dernier jour, par un temps orageux, Gillet finissait de régler les instruments, accroupi dans la caisse. Avec Daniel Dupuy qui se trouvait près de la caisse, ils étaient seuls sur le glacier. Soudain deux éclairs successifs et comme deux explosions. Le câble vertical de 60 m constituait un paratonnerre, personne n’y avait songé ! Lorsque Gillet, commotionné, reprit ses esprits et sortit la tête de la caisse, il vit Dupuy courant effaré au hasard sur un glacier qui n’offrait pas le moindre abri. La foudre n’avait pas frappé la sonde métallique qu’il tenait à la main, et par contre avait pulvérisé une balise en bois à côté. Sur la culotte de drap de Gillet il y avait des sphérules de cuivre : le câble s’était volatilisé.

(...)

L’été austral 1974-75 Lorius et Gillet partirent donc en reconnaissance au Dôme C. Ils y allèrent en avion depuis McMurdo ... et faillirent ne pas en revenir. Au décollage l’une des fusées d’appoint explosa, sans faire de blessés. De McMurdo le Squadron six envoya un autre LC 130 à la rescousse. Cette fois le commandant n’osa pas utiliser les fusées d’appoint pour décoller. Il chercha à prendre son élan longtemps, longtemps, un ski cassa sous l’effet des vibrations et le nez de l’avion s’écrasa dans la neige, encore sans blessés. Nouveau LC 130, ayant à récupérer les deux scientifiques et deux équipages. Ordre du commandant d’abandonner tout bagage pour s’alléger au maximum et de se grouper à l’arrière de l’avion. Fusées d’appoint allumées ... et envol enfin réussi.

Lorius et Gillet avaient carotté la neige compacte et l’avaient trouvé à -54 °C en profondeur. A une si basse température le trou ne se referme que très lentement. Le matériel qui avait permis l’année précédente de carotter près de la côte jusqu’à 300 m "à sec" , sans mettre de fluide dans le trou, devait permettre de carotter à sec bien plus profondément au Dôme C. Lorsque des techniciens aéronautiques y allèrent cet été examiner les dégâts la carotte fut ramenée. La mesure tranche par tranche de sa très faible radioactivité permit d’y retrouver les neiges de 1955 , car à partir de cette année-là les retombées radioactives des essais nucléaires dans l’atmosphère atteignirent l’Antarctique. On trouva qu’en vingt ans ne s’étaient déposés que 210 cm de neige de densité 0,35 , soit l’équivalent de 4 cm de glace par an. Une si faible accumulation permettait d’atteindre la précipitation tombée lors du dernier âge glaciaire, celui qu’on appelle en Amérique du Nord le Wisconsin. Gillet fit fabriquer un câble beaucoup plus long, un nouveau treuil et toutes ses commandes. En 1976-77 sept membres du laboratoire partirent essayer le nouveau matériel en Terre Adélie, près de la côte. Cet été-là la banquise devant Dumont d’Urville ne se disloqua que très tard, en janvier. il n’était plus temps pour débarquer le matériel et avoir le temps de réussir un forage avant que la banquise ne se referme. Bilan pour le laboratoire : sept ingénieurs et techniciens absents pendant quatre mois pour strictement rien ...

Enfin l’été austral 1977-78 le matériel fut amené par avion au Dôme C. Bien qu’il n’aie pas été essayé sur le terrain, il fonctionna parfaitement et on put retirer des carottes j usqu’à 905 rn de profondeur. A Grenoble, où nous attendions impatiemment leurs télégrammes, on en avait reçu un annonçant " avons atteint la glace du Wisconsin" . Comment l’avaient-ils su, sans avoir déterminé les teneurs en oxygène 18 ? On le comprit à leur retour : cette glace avait des grains beaucoup plus fins.

(...)

François Gillet, instruit par le cas de Poggi, avait compris que le CNRS n’offrirait jamais à quelqu’un du cadre ingénieur comme lui une carrière à la mesure de ses capacités. Dès 1983 il demanda à être détaché à la DATAR, pour occuper par la suite des postes de haut niveau aux titres flamboyants.