De nouvelles approches pour l’étude des interactions entre phénomènes torrentiels et ouvrages de protection

Dans les montagnes, les fortes pluies génèrent des crues torrentielles charriant de grandes quantités de sédiments et de bois, voir même des laves torrentielles, écoulements très destructeurs d’un mélange de boue, de graviers, de bois et de blocs rocheux. Les équipes INRAE de l’IGE (Institut de Géoscience de l’Environnement) à Grenoble développent des approches visant à améliorer la conception et la maintenance des ouvrages de protection contre ces phénomènes. Deux contributions ont notamment été mis en avant par les éditeurs des journaux où elles ont été publiées.

© Olivier Lefebvre

 

Approche simplifiée de conception des barrages de piégeage des laves torrentielles

Les écoulements de boue, de bois et de blocs rocheux associés aux laves torrentielles génèrent d’importants risques pour les vies humaines et des dommages réguliers aux infrastructures et aux bâtis. Parmi les différentes stratégies de gestion de ces risques, le piégeage dans des ouvrages dédiés est une option retenue sur les bassins versants où l’évitement, la canalisation des écoulements ou la stabilisation des sources sédimentaire ne sont pas viables ou efficaces.

Le bassin versant de la Cheekye River en Colombie Britannique (Canada) génère des laves torrentielles géantes de façon épisodique. Il est envisagé de mettre en place un ouvrage de piégeage sur ce site : le barrage de 25 m de haut serait le plus grand piège à lave torrentielle d’Amérique du Nord. Les chercheurs d’INRAE Grenoble ont appuyé les concepteurs du barrage pour définir la forme de l’ouvrage, et en particulier de la fente qui contrôle les flux passant à travers. Cette dernière devait être suffisamment étroite pour piéger les évènements dangereux mais pas excessivement de manière à limiter les coûts de maintenance (curage des dépôts associés aux petites crues).

L’étude d’un tel ouvrage était un véritable défi puisqu’il fallait analyser à la fois les écoulements de boue à travers l’ouvrage et aussi le blocage de ce dernier par les blocs rocheux et les arbres arrachés par les flots. Les modèles physiques et numériques existants n’étaient pas en mesure de mener cette analyse. Un nouveau cadre de modélisation simplifié a été imaginé par l’équipe INRAE du site de Grenoble - Saint-Martin-d’Hères afin de répondre à ce défi. L’approche simple et innovante a été publiée immédiatement dans le Journal of Geophysical Research : Earth Surface. Cet article a attiré l’attention de l’Editeur du journal Mikaël Attal qui a publié un "editor’s highlight", une note sur l’intérêt de l’approche. Elle est directement utilisable par les praticiens : les codes numériques sont accessibles en ligne et des développements complémentaires sont en cours pour enrichir le modèle.

Infographie montrant à quoi ressemblerait le piège à laves torrentielles de la Cheekye River : on distingue bien la fente centrale et des piétons sur la crête de l’ouvrage ©BGC Engineering

 

Améliorer les modèles réduits d’ouvrages souples

Les modèles réduits et canaux hydrauliques en laboratoire continuent à être très largement utilisés par les scientifiques afin de mener de nombreux essais dans des conditions contrôlées. La physique des écoulements torrentiels chargés de sédiment et de bois est très complexe et encore mal connue. Les essais sur modèles réduits permettent donc d’améliorer notre compréhension de ces processus naturels et de leurs interactions avec les ouvrages de protection.

Pour le piégage des sédiments et du bois flottant, l’utilisation d’ouvrages souples en câbles et filets métalliques est une alternative plus légère, discrète et moins coûteuse que les ouvrages rigides en béton et poutrelles aciers. L’étude sur modèle réduit de ces ouvrages était toutefois mise en difficulté par leur caractère souple. Il n’avait pas été trouvé de moyen de représenter correctement leur déformabilité à l’échelle réduite : les maquettes des ouvrages étaient ainsi généralement anormalement rigides et représentaient mal les interactions avec les processus torrentiels.

Une étude mariant analyse physique théorique, validation à l’aide de modèles numériques mécaniques sophistiqués et essais en laboratoire sur des ouvrages réels et sur des modèles réduits d’ouvrages a permis de définir des critères de conception de barrages souples se déformant de manière réaliste dans leur version réduite. C’est à l’aide d’impressions 3D soigneusement paramétrisées que les modèles réduits de barrages souples ont été fabriqués. Cette étude ouvre de nouvelles perspectives dans les modèles physiques hydrauliques et études en canal d’ouvrages souples (câbles, filets mais aussi amarrages, barrages flottants, etc.).

Cette étude innovante publiée dans le Journal of Hydraulic Engineering a été retenue comme "the editor’s choice", l’article retenu par l’éditeur en chef pour être mis en avant par le journal, et l’American Society of Civil Engineers a publié un résumé de l’article sur son site internet.

Les modèles réduits de barrages souples ont été utilisés dans la foulée pour une étude complète du potentiel de piégeage du bois flottant dans les rivières.

Modèles réduits de barrage souple et d’écoulements chargés de bois flottants © INRAE

 

Articles cités :

Piton, G., Goodwin, S. R., Mark, E., & Strouth, A. (2022). Debris flows, boulders and constrictions : A simple framework for modeling jamming, and its consequences on outflow. Journal of Geophysical Research : Earth Surface, 127, e2021JF006447. https://doi.org/10.1029/2021JF006447

Lambert S, Bourrier F, Ceron-Mayo A-R, Dugelas L, Dubois F, Piton G. 2023. Small-Scale Modeling of Flexible Barriers. I : Mechanical Similitude of the Structure. Journal of Hydraulic Engineering 149 : 04022043. DOI : 10.1061/JHEND8.HYENG-13070

Piton G, Ceron Mayo AR, Lambert S. 2023. Small-Scale Modeling of Flexible Barriers. II : Interactions with Large Wood. Journal of Hydraulic Engineering 149 : 04022044. DOI : 10.1061/JHEND8.HYENG-13071

Contact : Guillaume Piton