Contribution de la variabilité océanique aléatoire à l’évolution du niveau des mers près des côtes

Le réchauffement climatique induit une élévation du niveau des mers en moyenne sur le globe (+3 mm/an depuis 1993). L’augmentation de la concentration en gaz à effets de serre dans l’atmosphère piège en effet un excès de chaleur sur Terre, dont plus de 90% est absorbé par les océans, qui en réponse se dilatent. La fonte des glaciers de montagne et des calottes polaires contribue également à cette montée du niveau moyen. La répartition sur le globe de cette augmentation n’est pourtant pas uniforme : les altimètres satellitaires montrent que dans certaines régions, la tendance observée du niveau de la mer peut être nettement inférieure ou supérieure à cette moyenne globale (figure 1) ; cette disparité peut entraîner de graves problèmes environnementaux dans les zones côtières très peuplées.

Tendances régionales du niveau de la mer en mm/an observées par altimétrie spatiale. La moyenne globale de cette tendance (+ 3 mm/an) a été soustraite

Les fluctuations naturelles du système couplé océan-atmosphère se traduisent également par des tendances régionales du niveau des mers sur quelques décennies ; ce second signal peut compliquer dans certaines régions l’estimation des tendances régionales anthropiques. L’étude de ces 2 sources (anthropique et couplée) de tendances régionales repose en partie sur des simulations numériques du couple océan-atmosphère, dans lesquelles la turbulence océanique est le plus souvent ignorée. Notre étude vise à compléter ces travaux, et à évaluer la contribution éventuelle des tourbillons océaniques sur ces tendances régionales.

Un ensemble de 50 simulations océaniques globales turbulentes, forcées par l’évolution observée de l’atmosphère sur la période 1960-2015, a été produite dans le cadre du projet OCCIPUT piloté par l’équipe MEOM de l’IGE. L’analyse de cette simulation montre que la turbulence océanique méso-échelle favorise l’émergence spontanée dans l’océan d’une variabilité intrinsèque chaotique à basse fréquence : l’océan se comporte comme un générateur spontané de fluctuations aléatoires sur des échelles pouvant atteindre plusieurs décennies. Ce phénomène peut en outre générer des tendances aléatoires régionales du niveau de la mer, qui pourraient se superposer à celles liées aux 2 autres sources (anthropique et couplée).

L’étude suggère que dans les régions situées à l’intérieur des contours noirs de la figure 2, les tendances aléatoires régionales du niveau de la mer ne peuvent être négligées vis-à-vis des deux autres signaux. Sur les côtes du golfe du Mexique, et le long des côtes situées au nord-ouest des océans Pacifique et Indien (encadrées sur la figure 2), ces tendances régionales ne peuvent être attribuées de manière certaine à des causes atmosphériques ou anthropiques sur la période 1993-2015. En d’autres termes, la probabilité dans ces zones d’observer une tendance régionale aléatoire produite par l’océan lui-même dépasse les 5%, ce qui pourrait localement compliquer l’attribution des signaux observés.

Rapport entre les tendances régionales du niveau de la mer forcées (par la variabilité atmosphérique et le changement climatique) et aléatoires (générées par l’océan) sur la période 1993-2015, dans la simulation d’ensemble OCCIPUT. Les tendances régionales du niveau de la mer ne peuvent être attribuées sans ambiguïté au forçage atmosphérique (intervalle de confiance à 95 %) dans les régions situées dans les contours noirs (rapport inférieur à 2). Les zones côtières les plus concernées sont soulignées par les 3 rectangles. La moyenne globale des tendances forcée (+ 3 mm/an) et aléatoire a été préalablement soustraite, de manière à se focaliser sur les disparités régionales

Ces résultats ne remettent absolument pas en cause l’origine anthropique du réchauffement actuel ou de la montée du niveau des mers. Ils soulignent en revanche la nécessité de prendre en compte l’effet à long terme des tourbillons océaniques pour l’étude du climat, et pour une meilleure interprétation des tendances du niveau des mers le long de certaines côtes de l’océan global.

CITATION :

Penduff, T., W. Llovel, S. Close, I. Garcia-Gomez, and S. Leroux (2019) : Trends of Coastal Sea Level Between 1993 and 2015 : Imprints of Atmospheric Forcing and Oceanic Chaos. Surveys in Geophysics, doi : 10.1007/s10712-019-09571-7. https://rdcu.be/bT49n