L’or vert mexicain menace agriculteurs, écosystèmes et papillons monarques

Article initialement publié dans IRD le Mag

Les scientifiques de l’IRD et leurs partenaires mexicains étudient l’impact du remplacement des cultures vivrières par des plantations d’avocatiers au Mexique. Ils pointent les risques que font peser l’usage mal encadré des pesticides pour la santé des agriculteurs et pour l’environnement à proximité d’une réserve du papillon monarque. Cette recherche interventionnelle a conduit à l’organisation d‘ateliers pour former les agriculteurs de la région à l’utilisation raisonnée des intrants agricoles.

Les cours d’eau, comme cette petite rivière sur le bassin versant de Sanguio, recèle des résidus de produits phytosanitaires. © Ana Merlo

L’appétit des amateurs de guacamole pourrait menacer le sort d’un symbole remarquable de la biodiversité… Les travaux menés par les scientifiques de l’IRD et leurs partenaires mexicains du CIGA [1] établissent en effet les dangers de l’utilisation croissante de pesticides liée à l’intensification des cultures commerciales d’avocat dans l’état du Michoacan au Mexique, région devenue championne mondiale de cette production. Si elle expose en premier lieu les agriculteurs et les populations vivant à proximités des champs à des risques sanitaires, elle impacte également les milieux naturels dont dépendent les papillons monarques [2]. « Les eaux de la réserve de biosphère qui abritent cet étonnant papillon migrateur ainsi que les zones environnantes sont contaminées par les pesticides », indique Ana Merlo, doctorante en sciences de la terre à l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE).

À la place des cultures traditionnelles

La forte demande en avocats du marché américain conduit depuis plusieurs années à une véritable ruée sur ce nouvel or vert dans la région : les plantations d’avocatiers, exploitées en continu à grand renfort d’intrants chimiques [3], viennent remplacer les cultures traditionnelles saisonnières d’avoine, maïs et autres haricots rouges. « Pour pallier le manque de données sur les pratiques agricoles et les produits utilisés, et savoir quelles substances rechercher dans les milieux, nous avons mené une enquête sur le terrain, explique la jeune chercheuse. 55 entretiens avec des petits agriculteurs nous ont permis d’identifier les types de pesticides, les quantités, les fréquences et les méthodes d’application. » Ce faisant, les scientifiques ont découvert que les utilisateurs connaissent très mal les intrants qu’ils emploient, les précautions élémentaires pour leur propre sécurité et pour celle des écosystèmes. Mais aussi qu’ils en font un usage intensif pour la production des avocats [4], bien plus que pour les cultures traditionnelles.

Forte contamination des milieux

De fait, les prélèvements et les analyses d’eau de surface et souterraine ont révélé une forte contamination des milieux naturels par les intrants chimiques et leurs résidus. « Dans ces échantillons, nous avons décelé la présence de 13 pesticides différents et de produits de dégradation », explique Christine Baduel, chimiste environnementale de l’IRD à l’IGE. Cette pollution touche à la fois le bassin versant situé au sud de la réserve de biodiversité des monarques, zone dévolue à l’avocat, et le bassin versant nord, où subsistent des productions traditionnelles. La zone protégée elle-même n’est pas épargnée : on y retrouve un métabolite probablement dérivé des pesticides utilisés pour lutter contre les infestations de scolytes dans la forêt, des produits pourtant interdits dans cette zone…

Restitution aux intéressés

Au-delà de l’habituelle publication dans une revue scientifique, les chercheuses et organisations non gouvernementales mexicaines ont commencé à diffuser les résultats de cette étude auprès des principaux intéressés. Un premier atelier destiné aux agriculteurs des communautés de Zitacuaro a été organisé en février. « Il s’agit tout à la fois d’expliquer les dangers invisibles liés à la dissémination des pesticides, d’informer sur les bonnes pratiques, ménageant la sécurité des personnes et des milieux, et d’encourager à la modération dans le recours aux intrants chimiques », conclut Ana Merlo.

Un migrateur chatoyant

Grand voyageur et toxique pour ses prédateurs, le papillon monarque est une espèce d’insecte des plus originales et fascinantes. Chaque année, les monarques effectuent en effet une migration extraordinaire, sur des milliers de kilomètres, les menant des États-Unis et du Canada vers les forêts de pins d’Oyamel au Mexique, et inversement. Ce voyage est une prouesse d’orientation et de survie. Pour se diriger, les papillons utilisent des signaux environnementaux, comme la position du soleil. Aucun individu ne fait l’aller-retour complet ; la migration s’étend sur plusieurs générations.
Se nourrissant de plantes qui contiennent des toxines, les monarques sont par ailleurs vénéneux ou mauvais au goût pour nombre de prédateurs. Ils jouent un rôle crucial dans les écosystèmes en tant que pollinisateurs et sources de nourriture pour des espèces insensibles à leur toxicité. Toutefois, leur population est menacée par la perte d’habitat et les pesticides.

Les papillons monarques effectuent une migration massive et sur une grande distance tous les étés pour rejoindre le Mexique depuis le Canada ou le nord des États-Unis. © U.S. National Park Service Original

Contacts

Ana Merlo, doctorante IGE (Université Grenoble-Alpes/IRD/Inrae/CNRS/Institut national polytechnique de Grenoble) et Consejo Nacional de Humanidades, Ciencias y Tecnologías ( (CONAHCyT), Mexique

Christine Baduel, IGE (IRD/Université Grenoble-Alpes/Inrae/CNRS/Institut national polytechnique de Grenoble)

Céline Duwig, IGE (Université Grenoble-Alpes/IRD/Inrae/CNRS/Institut national polytechnique de Grenoble)

Isabel Ramírez, Centro de Investigaciones en Geografía Ambiental, Universidad Nacional Autónoma de México, Campus Morelia. (Mexique)

Publications

Évaluation des risques des pesticides utilisés dans la ceinture avocatière orientale de Michoacán, Mexique : Une approche par enquête et suivi de l’eau

Ana Merlo-Reyes, Christine Baduel, Céline Duwig & Isabel Ramírez, Risk assessment of pesticides used in the eastern Avocado Belt of Michoacan, Mexico : A survey and water monitoring approach, Science of the Total Environment,15 mars 2024

DOI :10.1016/j.scitotenv.2024.170288

Journaliste

Olivier Blot, IRD-DCPI

[1Centro de Investigaciones en Geografîa Ambiental, Universidad Nacional Autónoma de México, Campus Morelia

[2Danaus plexippus

[3À raison de quatre récoltes par an

[4Compte tenu des risques accrus que font peser les ravageurs sur une monoculture et des forts enjeux économiques associés.