Sensibilité des projections concernant la perte de masse du bassin d’Amundsen (Antarctique) à la loi de frottement

Le changement climatique actuel est à l’origine d’une élévation du niveau des mers dont les effets se font d’ores et déjà ressentir en plusieurs points du globe et qui accélère. La mise en œuvre de réponses adaptées visant à limiter, sinon l’élévation elle-même, tout au moins ses conséquences requiert la production de prévisions fiables à court et moyen termes. Au regard des 58 mètres d’élévation potentielle du niveau des mers que représentent les volumes de glace qu’elle concentre, la calotte antarctique constitue la première source d’incertitude sur ce type de projection. Contrairement à la calotte groenlandaise, le mode principal de contribution de l’Antarctique à l’élévation du niveau des mers n’est pas lié à sa fonte en surface - il y fait encore trop froid pour que celle-ci soit significative – mais à un transfert dynamique de glace du continent vers l’océan. On estime que près de 80 % de la masse de glace déversée dans l’océan transite par un nombre restreint de glaciers émissaires dont les vitesses d’écoulement s’élèvent à plusieurs milliers de mètres par an. Il ne peut donc y avoir de projections fiables de l’élévation future du niveau des mers sans une compréhension poussée de la dynamique de ces glaciers, condition préalable à une représentation réaliste de celle-ci au sein des modèles d’écoulement glaciaire. La majeure partie du mouvement total enregistré à la surface des glaciers émissaires s’explique par le glissement de leurs bases sur le socle sous-jacent, le reste étant imputable à la déformation de la glace. La modélisation du glissement basal se fait par l’intermédiaire de lois de frottement, formulations mathématiques mettant en relation vitesse à la base, contrainte à la base, et potentiellement d’autres paramètres dont la pression d’eau à l’interface glace/socle. Plusieurs lois de frottement ont été dérivées au cours des dernières décennies, soit à partir de raisonnements théoriques, soit par le biais d’expériences en laboratoire. Cependant, compte-tenu des échelles spatiales et temporelles mises en jeu en glaciologie, aucune de ces lois n’a reçu de validation in situ. De fait, la plupart des études publiées proposant une estimation de la contribution future de l’Antarctique à l’élévation du niveau des mers font appel à la plus simple de ces lois, la loi de Weertman.

Face à ce constat, une équipe de chercheurs de l’IGE s’est attelée à la quantification de l’incertitude liée à la méconnaissance de la loi de frottement à utiliser. Pour cela, ils se sont focalisés sur le bassin d’Amundsen (le bassin le plus actif d’Antarctique) pour lequel un nombre important d’observations sont disponibles permettant la construction d’états initiaux du modèle numérique. Une fois ces états initiaux construits, ils ont appliqué une perturbation schématique au modèle afin de comparer la réponse de celui-ci selon la loi de frottement retenue. Au total, six lois de frottement recouvrant la quasi totalité des lois utilisées dans les études glaciologiques publiées à ce jour ont été comparées. L’étude montre que la loi de Weertman, de loin la plus communément utilisée jusqu’à récemment, tend à sous-estimer nettement la contribution de la calotte à l’élévation future du niveau des mers par rapport aux lois faisant intervenir de manière explicite l’effet de la pression d’eau à l’interface galce/socle et qui, de fait, reposent sur des bases physiques plus solides. En outre, il s’avère que la manière dont cette pression d’eau basale est prise en compte par la loi de frottement influe non seulement sur la masse totale perdue par le domaine mais également sur la répartition spatiale de cette perte de masse. Cette étude exhorte la communauté des glaciologues à déployer d’importants efforts afin de mieux comprendre les processus à l’origine du glissement basal et d’établir une loi de frottement digne de confiance.

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Julien Brondex : julien.brondex univ-grenoble-alpes.fr