Augmentation d’un facteur trois des dépôts d’iode dans les glaces du mont Blanc due à la pollution à l’ozone sur le bassin Méditerranéen

La pollution à l’ozone entraine une augmentation des émissions océaniques d’iode, en particulier aux moyennes latitudes Nord (mer Méditerranée et océan Atlantique), avec pour conséquence un triplement des quantités d’iode retombant sur l’Europe Occidentale. Telle est la conclusion d’une étude réalisée sur la glace des Alpes par une équipe internationale(1) coordonnée par un chercheur de l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE/OSUG, CNRS / IRD / UGA / Grenoble INP). Ce résultat est important du point de vue de l’évolution des teneurs en ozone mais surtout du dépôt d’iode car il concerne une région historiquement connue pour son important déficit en iode.

L’iode est un composant mineur de notre atmosphère mais il est l’agent le plus efficace pour détruire en partie l’ozone présent dans les basses couches de l’atmosphère. Par là même, il compense partiellement la pollution à l’ozone causée par les émissions croissantes d’oxydes d’azote et d’hydrocarbures par les moteurs. L’élimination de l’iode de l’atmosphère par dépôt sur la biosphère continentale représente par ailleurs l’unique voie d’apport en iode pour les sols et la végétation d’une région donnée.

Évolution des teneurs en iode et en nitrate dans les couches de glace estivales déposées au Mt Blanc entre 1890 et 2000.

Jusqu’à présent, les émissions d’iode dans l’atmosphère étaient attribuées essentiellement à l’iodure de méthyle (CH3I), émis depuis l’océan par le phytoplancton marin. Cependant, cette seule source ne permettait pas d’expliquer les importantes concentrations atmosphériques en oxyde d’iode (IO) mesurées au dessus de l’océan. En 2013, une équipe de chimistes anglais a montré qu’une grande partie des émissions d’iode dans l’atmosphère pourrait en fait provenir de l’acide hypo iodeux (HOI) produit par réaction de l’ion iodure (I-) présent dans l’océan avec l’ozone présent à l’interface air-mer. Cette découverte impliquait que cette source d’iode augmente au cours du XXe siècle suite à l’augmentation de l’ozone dans la basse atmosphère résultant de la croissance des émissions véhiculaires. L’importance de cette source dominante d’iode pour l’atmosphère et son évolution ne pouvait jusqu’ici qu’être estimés par des modèles numériques par manque d’observations tant sur l’ozone que sur l’iode lui-même.
L’étude réalisée sur la glace du Mt Blanc et couvrant les années 1890-2000 a permis de mieux de comprendre le cycle de l’iode dans l’atmosphère et quantifier son évolution.

Les chercheurs ont ainsi pu montrer que la teneur en iode de la glace déposée au Mt Blanc depuis 1890 augmente fortement après 1950, en particulier en été avec une augmentation d’un facteur 3 entre 1950 et 2000. Ces résultats ont été confrontés aux simulations numériques. Il en est ressorti que l’augmentation des dépôts d’iode est confirmée et attribuée à l’ozone, l’augmentation réelle étant encore un peu plus marquée que celle prévue par les simulations. Ceci pourrait être en partie due à une sous-estimation des augmentations d’ozone simulées par la plupart des modèles atmosphérique actuels.
Cette augmentation de l’iode dans les Alpes est plutôt une bonne nouvelle pour les pays limitrophes des Alpes pour lesquels dans son dernier rapport le WHO (organisation mondiale de la santé) concluait que le déficit en iode demeurait encore un problème de santé publique dans 11 pays européens dont la France, l’Italie et l’Espagne. Rappelons ici que la forme la plus sévère du déficit en iode concerne les vallées alpines (retards mentaux irréversibles traduits dans le langage populaire par l’expression « crétins des Alpes ») du fait de sols proches des zones englacées datant des grandes glaciations. Le déficit en iode concerne aussi d’autres pays du bassin Méditerranéen comme la Turquie.

Simulations des émissions actuelles d’iode par l’océan mondial (gauche) et leurs changements entre la période présente (PD) et préindustrielle (PI) (droite). Noter à proximité des Alpes, la Méditerranée où l’augmentation des émissions d’iode est supposée être particulièrement importante.

Ces recherches ont été soutenues par l’INSU-CNRS et l’ADEME (programme LEFE-CHAT ESCCARGO) et les programmes européens ALPCLIM et CARBOSOL.

Note(s) :
Les institutions étrangères participantes sont les suivantes : Desert research institute (USA) pour la mesure de l’iode et University of York (United Kingdom) pour la modélisation de la chimie des halogènes et de l’ozone.

Source(s) :
Legrand, M., McConnell, J. R., Preunkert, S., Arienzo, M., Chellman, N., Gleason, K., Sherwen, T., Evans, M. J., & Carpenter, L. J. (2018). Alpine ice evidence of a three-fold increase in atmospheric iodine deposition since 1950 in Europe due to increasing oceanic emissions. Proc Natl Acad Sci USA, PNAS published ahead of print November 12, 2018. https://doi.org/10.1073/pnas.1809867115

Contact(s) :
Michel Legrand, IGE/OSUG
michel.legrand univ-grenoble-alpes.fr, 04 76 82 42 43

Source : Actualités du CNRS-INSU